La souffrance au travail en temps de crise sanitaire

Quels sont les effets de la pandémie sur les risques psychosociaux à l’hôpital ? Premiers éléments de réponse avec Dr. Ségolène Arzalier-Daret, anesthésiste-réanimatrice spécialiste du sujet, coadministratrice de l’Observatoire de la Souffrance au Travail (OSAT).

 

À quoi sert lObservatoire ?

Il a été fondé en 2009 et dépend, depuis 2017, de l’intersyndicale Action Praticiens Hôpital (APH). C’est une plateforme permettant de déclarer sa souffrance au travail à partir d’un questionnaire en ligne. Les déclarants ont la possibilité de se faire rappeler par nos observateurs-praticiens, ce qui permet d’abord de les écouter et, éventuellement, d’entreprendre des actions auprès des établissements concernés. L’OSAT est une sorte de « lanceur d’alerte » qui dresse également une photographie des problèmes à travers son bilan annuel.

 

Que nous apprend la crise sanitaire sur la souffrance au travail ?

Avant l’épidémie, les cas de harcèlement étaient très présents, ainsi que l’émergence inquiétante des « idées suicidaires » représentant un quart des déclarations en 2019. Il est trop tôt pour faire le bilan de la crise sanitaire – qui est loin d’être terminée, mais on a pu constater, lors de la première vague, la diminution des problèmes de harcèlement. À l’inverse, d’autres facteurs de souffrance se sont logiquement développés : la peur de la contamination, notamment pour des personnes à risque avec des comorbidités ; l’insuffisance de moyens en termes d’organisation générale ou de protection individuelle ; la charge émotionnelle liée à l’augmentation des patients en soins palliatifs et à l’appréhension de les voir mourir seuls, sans leur famille; l’impuissance face au nombre de décès ; et évidemment, comme toujours, la surcharge de travail ! Nous avons également observé des sentiments d’inutilité, générateurs de mal-être, de la part de praticiens qui se retrouvaient sans activité, en raison des déprogrammations, alors que leurs collègues traversaient des situations de tension extrême. Je pense notamment aux chirurgiens, même si beaucoup se sont mobilisés dans les faits pour venir en aide aux anesthésistes-réanimateurs, sur le plan médical (en particulier pour les mobilisations de patients en décubitus ventral) et sur un ensemble de tâches quotidiennes leur permettant de gagner du temps, au service des patients. Enfin, il y a des effets de « stress post-traumatique », liés au contexte, que nous connaissons bien en anesthésie-réanimation sous le vocable de « seconde victime » (lorsqu’un praticien est traumatisé suite à un événement indésirable survenu chez un patient). La commission SMART du SFAR a mis en place un test en ligne spécifique pour s’évaluer et éventuellement aller consulter si l’on est dans le rouge. D’après les études disponibles, on sait qu’une large majorité de médecins n’a toujours pas de médecin traitant !

Dans quel « état » les soignants ont-ils abordé la seconde vague ?

Ça va être difficile, d’autant plus que la brutalité de l’épidémie a favorisé des avancées en trompe-l’œil. Du jour au lendemain, ils ont obtenu des moyens supplémentaires qu’ils réclamaient depuis très longtemps, sans parler de l’élan de solidarité qui s’est mis en place au printemps mais qui n’est plus aussi présent actuellement. Il y a eu cette « trêve estivale » qui a ravivé les problèmes et les mécontentements, notamment à l’issue du Ségur. Au-delà des nombreux départs, il y a beaucoup de fatigue et de colère à l’hôpital. L’arrivée de la seconde vague et le déclenchement des Plans blancs ne risquent pas d’arranger les choses : les soignants n’ont pas pu prendre de congés et vivent souvent très mal le fait que le nouveau confinement semble aussi beaucoup moins respecté. Cela révèle aussi toute la problématique de l’hôpital sur la souffrance au travail. On en parle beaucoup, des choses se mettent en place sur le plan de la qualité de vie individuelle (conciergeries, crèches, salles de sport, etc.), mais c’est également, bien souvent, l’arbre qui cache la forêt des vrais problèmes structurels. Nous savons que le burn-out est un phénomène complexe, lié à de multiples facteurs, dont la surcharge de travail, la perte d’autonomie des médecins ou la diminution constante des temps d’échange collectif; mais c’est précisément ce que les grandes réformes sur l’hôpital et le modèle de gestion basé sur la tarification à l’acte ont accentué ! Autrement dit, c’est le système de santé dans sa globalité qu’il faudrait repenser pour lutter efficacement, de façon pérenne, contre la souffrance au travail. Une étude réalisée dans le cadre d’une thèse a repris les mêmes critères que la fameuse enquête SESMAT sur l’évaluation du burn-out à l’hôpital public. À dix ans d’intervalle, les résultats ne se sont pas améliorés, ce qui permet de s’interroger sur ce qui a été mis en place, en termes d’outils ou de politiques de santé.